Arras Film Festival

ARRAS FILM FESTIVAL 2025 : EPISODE 3

11/11/2025

Pour ce 3ème épisode Laura nous propose un focus sur le film "Sorda" de la réalistrice espagnole Eva Libertad proposé dans la catégorie Découvertes Européennes.
Chronique + micro-trottoir en compagnie de David Lobry interprète en langue des signes et illustrée par la bande annonce du film.

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Transcription

*Musique avec extraits de films*

Au sommaire de ce 3ème épisode du journal du Arras Film Festival, on retrouve Laura qui nous propose un focus sur le film Sorda proposé dans la catégorie Découvertes Européennes, illustré par la bande-annonce du film et un micro-trottoir de spectateurs en collaboration avec un interprète en langue des signes.

*Chronique*

Sorda, ou Sourde, c'est un film espagnol réalisé par Eva Libertad, prix du public au Festival de Berlin. Son personnage principal, Angela, est sourde et elle attend son premier enfant. 

Il s'agit en réalité de la version longue d'un court-métrage réalisé par Eva Libertad en 2022. Il faut croire qu'après 70 sélections en festival et la récompense de plus d'une trentaine de prix, ce personnage avait encore quelque chose à raconter.

Pour avoir vu ce film, je ne peux vous dire qu'une chose, c'est formidablement raconté.
La naissance d'un enfant, c'est toujours un grand bouleversement dans la vie d'une femme, dans la vie d'un couple. Et le film montre avec justesse la conquête de ce difficile équilibre, non plus à deux, mais à trois. 

Ici, la grossesse d'Angela, comme son accouchement et l'accueil de sa petite-fille, relèvent d'un double défi.

D'abord, sur la communication. D'abord, entre les professionnels de santé et les sages-femmes avec Angela ; puis entre Angela, son enfant et sa famille. 

Sa fille naîtra-t-elle sourde ou entendante ? Je ne vous spoile pas. 

En tout cas, pour Angela, c'est la tempête. Elle bouleverse son petit monde en l'élargissant à de nouveaux endroits, crèches, parcs de jeux, et de nouvelles personnes, d'autres mamans, l'assistante maternelle. 

L'expérience de toute jeune maman, mais avec la barrière de la langue et l'indélicatesse de certains entendants, qui, en connaissance de cause, pourraient, on va se le dire, quand même faire quelques efforts. Au moins pour mimer, écrire, communiquer avec cette maman. 

*Bande Annonce en Espagnol*

Ce n'est pas un film qui culpabilise, c'est un film qui propose un autre point de vue, qui invite à prendre l'initiative d'essayer de communiquer, parce que c'est toujours possible. À l'écrit, en mimant, en permettant de lire sur les lèvres, avec quelques bases en langue des signes. Un film qui prouve que l'enjeu n'est pas de réparer une oreille, mais d'apprendre à vivre ensemble, dans un monde pas encore adapté à tous, mais qui pourrait l'être avec quelques efforts pour aller vers l'autre. 

S'il faut pour ça des silences, je vous recommande chaudement ce film, Solda, dont deux projections sont encore prévues, le 13 novembre à 18h30 et le 16 novembre à 9h. 

Une fiction douce, bouleversante, pédagogique et presque documentaire, tant elle regorge de culture sourde.

Il raconte tous les changements dans la vie que peut accompagner l'arrivée d'un enfant, mais aussi de trouver sa place en tant que mère, en tant que parent, de laisser parfois la place à l'aide des autres, mais aussi de s'affirmer en tant que telle. 

Pour terminer, "big up !" au choix d'une actrice sourde, sœur d'ailleurs de la réalisatrice, autant donc vous dire qu'elle parle en connaissance de cause. 

Un film tout doux que je vous recommande chaudement. 

D'ailleurs, je vous laisse avec les réactions, les témoignages, des personnes sourdes qui étaient dans la salle et que j'ai pu rencontrer après la séance. Merci à David Lobry, interprète en Langue des Signes Française qui était venu présenter le film en amont de celui-ci, qui est resté voir le film avec moi et qui a permis la traduction de ces témoignages pour le micro-trottoir. 

Vous allez entendre une petite virgule sonore, celle-ci, *ting* entre chaque personne, puisque c'est la voix de David qui va apparaître pour chaque traduction. 

Personne 1 (une femme sourde) : Moi, en tant que maman (fin, nous on est sourds tous les deux), avoir un enfant, déjà on signait, on mimait avec lui. 

Et, c'est vrai qu'on ne savait pas trop s'il était entendant au départ. On se dit que ça va être compliqué, mais ce qui est important, c'est d'abord l'amour qu'on donne à l'enfant. Après la famille entendante, la famille sourde. Mais c'est vrai que des fois on se sent un peu exclu. Bon voilà, c'est comme ça, c'est vrai que c'est comme dans le film.

Personne 2 (une femme entendante) : C'est dur quand on voit l'enfant, quand on voit les autres, les entendants, la famille, et l'enfant qui comprend... enfin, on ne sait pas, mais s'il ne comprend pas sa maman, ça a dû être très dur, j'imagine, pour la maman, ça. 

Moi, en tant que mère, je me suis dit que j'aurais souffert de ça. J'ai compris la souffrance de cette femme. C'était vraiment douloureux pour moi, j'étais complètement dans l'empathie. Et moi qui ai trois enfants, je me suis dit que pour des femmes, des mamans sourdes, ne pas savoir si son enfant est entendant ou sourd, mais c'est surtout penser que son enfant ne l'entend pas, aurait un problème de communication avec lui. 

Et ça, je trouve ça très dur. Et j'aimerais bien savoir, justement, la maman qui est là, vous avez un enfant sourd ou un enfant entendant ? 

Personne 1 : Quand j'étais enceinte, mon enfant est né et le docteur est venu me dire tout de suite : il faut faire des tests auditifs. Et moi, je ne voulais pas faire des tests auditifs. Je préférais que ce soit naturel, que mon enfant soit sourd ou entendant, entre guillemets : je m'en moquais. Moi, ce que je voulais, c'est donner de l'amour à mon enfant. 

Laura : La scène de l'accouchement, elle est hyper traumatique, j'ai l'impression. Elle ne comprend pas ce qui se passe. On exclut le mari qui était là pour signer pour elle. Elle est horrible, cette scène.

Personne 1 : Oui, alors c'est vrai que moi, quand j'étais enceinte, à la naissance de mon premier, l'infirmière, la sage-femme, ils n'étaient pas tous là devant moi. Moi, il n'y avait que deux personnes avec moi. Bon, il y avait mon mari qui était avec moi, et l'infirmière qui m'expliquait en mimant, et donc je comprenais quand même ce qui se passait. Donc l'accouchement, ça s'est assez bien passé, naturellement. Là, dans le film, non, non, elle est vraiment perturbée, il y a plein de monde, on écarte le mari, c'est choquant, c'est choquant.
Oui, puis c'est que c'est en Espagne, c'est peut-être pas forcément la même chose qu'en France, c'est peut-être différent. 

Personne 3 (un homme malentendant) : Moi, en tant que m'entendant, du monsieur, voilà, bon, c'est mieux quand il y a un interprète qui est là pour les explications, voilà. 

Moi, je suis malentendant, donc j'entendais un peu comme le mari, je pouvais traduire pour ma femme. Mais c'est vrai qu'en tant que malentendant... bon bah moi, je suis né sourd, j'ai des appareils auditifs (attends là on voit), j'ai des appareils auditifs. J'ai quand même besoin d'entendre. Parce que moi j'ai grandi un peu avec le son. On m'a imposé aussi quand j'étais petit les appareils auditifs, après j'ai pris l'habitude. Mais j'ai la langue des signes, j'ai l'oral.

Alors bien sûr, ce qui est important, c'est que les gens parlent doucement avec moi, si les gens parlent trop vite, bah forcément je ne vais rien comprendre. C'est important que les gens avec moi parlent doucement. Puis après, j'ai grandi comme ça. C'est vrai que voilà, moi avec les personnes sourdes ça va, mais quand je suis avec les personnes entendantes, souvent je m'ennuie, je ne m'y retrouve pas. Parce que moi j'ai envie, enfin, je préfère être avec les personnes sourdes, parce que je suis dans la langue des signes, c'est plus facile. Quand je suis avec les entendants, bah souvent j'ai envie de sortir. Une fois que j'ai eu mon permis, tout de suite je suis sorti, je ne restais jamais avec ma famille entendante, tout de suite je partais voir les sourds, parce que j'avais besoin de la communauté sourde. C'est ma communauté. C'est beaucoup plus fort avec la langue des signes... c'est aussi avec les entendants, je n'apprenais pas assez, je ne vivais pas assez de choses. Donc c'est vrai que c'était beaucoup plus émouvant de vivre avec des sourds, et d'apprendre beaucoup plus de choses, parce que c'est dans ma langue.

Personne 4 (une femme sourde) : Alors moi c'est vrai que, excusez-moi, j'étais très ému par ce film, c'était vraiment, j'en ai pleuré même à un moment. Parce que j'ai vécu la même situation. Ça me rappelait des souvenirs, moi j'étais petite. Moi, je suis née sourde, avec un enfant entendant, mon ex était malentendant, ma famille, ils sont tous entendants. Il n'y a personne qui sait signer dans la famille, sauf moi, et puis mon ex-conjoint. C'est tout, et c'est que... quand j'ai eu un enfant, moi je voulais signer avec mon enfant. Il a réussi à comprendre ce que je disais et mon conjoint, il faisait plutôt dans l'oral, je faisais plutôt dans les signes. En fait, tout le monde autour de nous parlait avec les enfants et pour moi c'était très très frustrant. Parce que tout le monde parlait avec mon enfant et moi je ne comprenais pas ce qu'il lui disait. À chaque fois je disais "qu'est-ce que vous lui dites ?"

Et c'est que... l'enfant, quand il pleurait, eux l'entendaient, et moi je ne l'entendais pas. Du coup c'était très frustrant, parce que je me sentais exclue en fait, par rapport à mon enfant. C'était très dur à vivre. Et c'est ce que je leur disais, c'était dur pour moi, qu'il fallait m'aider, et c'est que ce n'était pas facile de savoir ma place avec les entendants, avec les sourds. 

Et voilà, c'était différent. 

Donc, à chaque fois, j'essayais de m'adapter aux personnes qui m'entouraient, aux entendants. Mais même en grandissant, à chaque fois, c'était toujours moi qui devais m'adapter en fait. Et c'est toujours faire de la compensation, quand j'étais à l'école, quand j'étais avec les personnes, avec la famille entendante, au repas de famille. C'est toujours prendre sur soi, l'ennui aussi, parce qu'on ne comprend pas les gens. Et le fait d'avoir un enfant, je me dis que ça va être encore de la compensation, encore à moi à m'adapter, tout le temps, c'est très dur. Et c'est que moi, quand j'ai fait la langue des signes avec mon enfant... bon ben, ça m'a touché. Parce qu'il a quand même fait d'abord avec la voix, et je faisais aussi des signes avec lui, même quand il a fait le signe, "on peut boire", "encore", etc. 

Je trouvais ça mignon qu'il signe un petit peu. Et puis à la crèche, pareil, il faisait avec la voix, avec la parole. Et moi, j'étais la seule à faire de la langue des signes. Et après, quand il est allé à l'école, il ne signait plus en fait, parce qu'il était toujours avec des entendants, toujours dans l'oral. Maintenant, il signe encore, mais un tout petit peu. Il a commencé à prendre conscience, comme je suis sa maman. Mais c'est qu'il est beaucoup avec des entendants, donc forcément, il voit que je suis la seule sourde. Donc, il voit que concrètement, quand je suis avec des entendants, je m'ennuie, je ne comprends pas, donc il fait l'effort vers moi. 

Et c'est vrai que quand il grandit, il fait les deux en fait, il fait les signes, il fait l'oral. Pour moi, du coup, c'est moins frustrant, parce que du coup, je commence à échanger, c'est plus facile, mais c'est vrai que ce n'est pas évident en fait. Parce que moi, quand j'étais avec mon conjoint, une fois aussi avec un autre conjoint entendant, il ne signait pas du tout. Là, pour moi, c'était très difficile. 

Donc moi, j'avais besoin aussi du monde des sourds, des entendants aussi, mais il faut trouver un équilibre entre les deux, j'avais besoin des deux.

Laura : Moi je l'ai trouvé super pédagogique justement, parce qu'il montre vraiment la réalité. Et je pense que pour des entendants qui ne sont pas du tout au courant du monde des sourds, de la langue des signes... et bien là, pour le coup, je pense qu'ils ont vraiment pu avoir un vrai regard et comprendre des fois leurs maladresses peut-être aussi. 

Personne 4 : Oui, tout à fait, c'est vrai que ce film, il est vraiment génial, parce qu'il montre des exemples concrets de la vie. Comment ça se passe pour les personnes sourdes, pour les personnes entendantes, quand ils sont ensemble. Comment ils peuvent vivre ensemble. C'est vrai que les entendants, des fois, ils ne comprennent pas, parce qu'ils n'ont jamais vécu l'expérience d'une personne sourde. Ils ne savent pas comment ça se passe, donc c'est vrai que le film montre ça très bien.

J'espère qu'il va se diffuser dans toute la France, que les gens vont vraiment prendre conscience de ce que c'est que les personnes entendantes, les personnes sourdes, la différence, et que les personnes sourdes ont besoin de la langue des signes.

Laura : Il y a un truc que j'ai adoré aussi, alors, toute la fin du film, à partir du moment où elle quitte la maison pour aller à la plage, se passe dans le silence. Sauf le moment où elle met ses appareils et qu'elle arrive à la crèche. Et là, on comprend vraiment pourquoi elle ne les supporte pas. 

Personne 4 : Oui. Avant, c'était pareil. Quand j'étais petite, j'avais des appareils auditifs. J'étais un peu forcé. Parfois, j'avais envie d'entendre. Les gens parlaient autour de moi, donc je voulais comprendre ce qu'ils disaient. Mais le problème, c'est que j'entendais des choses, mais je ne comprenais rien. C'était plein de bruit, c'était vraiment une cacophonie. 

Du coup, pour moi, je devais rejeter mes appareils parce que ça ne m'apportait rien. Et je ne les porte plus parce que ça ne m'apportait rien, le son en lui-même. 

Laura : Merci beaucoup pour ce témoignage, et puis j'espère peut-être que vous allez voir d'autres films aussi. Comme il y en a prévu, avec interprétation pour la présentation. 

Personne 4 : C'était vraiment super, là vraiment aujourd'hui, même avec l'association Sign'Up qui nous a informé. Je suis très contente d'être venue pour voir ce film parce qu'on ne voit pas souvent les interprètes qui présentent les films. C'est que des films en VO, il n'y en a pas beaucoup non plus. Donc quand il y en a un, nous, on en a besoin en tant que sourds de voir des films en VO. Et donc quand il y en a un, on vient le voir. Et c'est que c'est épanouissant, parce que du coup on se sent moins isolé, on va voir le cinéma ensemble. Et ça, c'est aussi l'humanité, c'est de vivre ensemble.

*Musique de la bande annonce du film*

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